Témoignage de la fille du Docteur F
Chronologie de l’ « Affaire du Docteur F. »
Madame X est suivie pour une grossesse par le Docteur F., exerçant à titre libéral à la POLYCLINIQUE Y
Le Docteur F s’était assuré contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile auprès de la compagnie L du 1er octobre 1997 au 31 décembre 2009, pour un plafond contractuel de garantie de 3 M€ par sinistre et 10 M€ par année d’assurance sans franchise.
Le Docteur F s’assure auprès de la compagnie W au 1er janvier 2010 toujours pour un plafond contractuel de garantie de 3 M€ par sinistre et 10 M€ par année d’assurance sans franchise.
2007
Le 21 juin 2007, Mme X s’est présentée à la Polyclinique en raison de contractions utérines et était examinée par la sage-femme, laquelle prévenait le Docteur F. de l’admission de sa patiente.
Madame X présentait alors une dilatation à 4 cm.
Une anesthésie péridurale était réalisée, ainsi qu’un contrôle échographique qui indiquait que la tête fœtale était bien en bas.
Le Docteur F. s’enquérait de l’avancement du travail à 21 heures 53.
A minuit, la sage-femme appelait le Docteur F. compte-tenu de la stagnation du travail et afin qu’il procède à la rupture de la poche des eaux ; la dilatation étant notée à 9 cm à cette heure.
Le bloc opératoire était déjà occupé et donc indisponible pour anticiper une indication de césarienne.
Le Docteur F. se présentait à 0 heure 25, la dilatation était à 10 cm. En préparation d’une éventuelle césarienne, le Docteur F. a demandé au Docteur Z, anesthésiste, de procéder à une injection d’analgésique, ce qui fut fait à 0h28. Le délai d’action étant de 10 mn, le Docteur F. procédait à la rupture de la poche des eaux à 0h33.
Un ralentissement sévère du rythme cardiaque est alors apparu, qui sera permanent. Face à cette situation d’urgence, et en l’absence de disponibilité de la salle de bloc, le Docteur F. a pratiqué une première tentative d’extraction fœtale au moyen des spatules dès 0h35, et demandé qu’on lui apporte les instruments nécessaires pour pratiquer une césarienne en salle de travail.
Les deux autres tentatives d’extraction par spatules effectuées dans la foulée ayant échoué, le Docteur F. posait l’indication d’une césarienne dès 0h46, une fois les instruments à sa disposition.
L’enfant naît à 1 heure, en salle de travail. Il présente une double circulaire serrée du cordon et un score de vitalité fœtale (APGAR) de 0 à 1 minute. Il est immédiatement pris en charge par l’équipe de néonatalogie.
Après ventilation et massage cardiaque externe, l’enfant est intubé et le score de vitalité fœtale de l’enfant passe à 3/10 à 5 minutes de vie puis à 4/10 à 15 minutes de vie. A 6 minutes de vie, son rythme cardiaque est de 120b/mn, l’hémodynamique périphérique est normale, la glycémie est normale et il est rose.
L’enfant est alors transféré au Service de Réanimation d’un CHU. A l’admission, la fréquence cardiaque est stable à 110b/mn.
A 11h de la naissance, l’enfant est extubé et il prend le biberon avec son père
Le suivi pédiatrique complet de l’enfant effectué au CHU n’est pas connu – ayant été saisi et placé sous scellé ; notamment les feuilles de transmission de soins infirmiers.
Fin juin 2007, soit 48 heures après la naissance, l’enfant présente des malaises répétés avec apnée, désaturation et bradycardie ; mouvements d’extension de la tête et du tronc. Il est ré-intubé. A partir de ce moment, l’évolution de l’enfant ne sera pas favorable
A son retour du CHU, fin juin 2007, le mère de l’enfant indique quant à elle aux sages-femmes de la Polyclinique que le bébé aurait fait une intolérance au NUBAIN® et serait à nouveau sous respirateur.
Le Docteur D, pédiatre réanimateur de l’enfant, qui avait continué, dans les jours suivants la naissance, à prendre quotidiennement des nouvelles de l’enfant au CHU, a également fait part à des sages-femmes de la Polyclinique d’une réintubation de l’enfant, suite à l’administration de NUBAIN® parce que l’enfant était algique
Sans vouloir s’avancer sur la dose de NUBAIN® administrée à l’enfant, le Docteur D. a confirmé aux autorités de gendarmerie, avoir eu connaissance d’une administration de NUBAIN® au nouveau-né, au sein du service de réanimation pédiatrique du CHU, tout comme deux sages-femmes.
Les compte-rendus établis par deux internes de l’unité de réanimation pédiatrique du CHU mi juillet et fin juillet 2007 notent une aggravation soudaine de l’état de l’enfant.
L’enfant présente depuis lors une tétraplégie dyskinétique.
2008
Les parents de l’enfant portent plainte contre X auprès du Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance en septembre 2008.
Une instruction a été ouverte au cours de laquelle était désignée, en qualité d’Experts, les Docteurs A et B, Pédiatres, et le Docteur C, gynécologue-obstétricien.
Ces Experts ont mené leur mission sans respecter le principe du contradictoire puisque seuls les parents ont été entendus, à l’exclusion du Docteur F.
2010
Le Docteur F s’assure auprès de la compagnie W au 1er janvier 2010 toujours pour un plafond contractuel de garantie de 3 M€ par sinistre et 10 M€ par année d’assurance sans franchise.
2011
Les Docteurs A, B et C déposent leur rapport en janvier 2011
Le Docteur F. n’a découvert les conclusions de l’expertise qu’en décembre 2011, lors de son interrogatoire de première comparution par le Juge d’Instruction ; expertise concluant à la mise en cause de sa responsabilité.
Le Docteur F. a contesté avoir commis une quelconque faute.
Le Docteur F. décède deux jours après l’information de sa mise en examen pour blessures involontaires d’un infarctus du myocarde.
Le cabinet de courtage de l’assurance W sollicite la résiliation du contrat d’assurance le 26 décembre 2011 pour cause du décès du Dr F.
2012
Le décès du docteur F. est porté à la connaissance du juge d’instruction qui délivre, en janvier 2012, un avis de fin d’information
Fin janvier 2012, le représentant du Parquet demande au juge d’instruction, de poursuivre l’information judiciaire « compte tenu des déclarations de Monsieur F. lors de son interrogatoire de première comparution évoquant la possibilité d’un surdosage de produit morphinique dont l’enfant aurait pâti »
Les sages-femmes à la Polyclinique X sont alors réentendues par la police et elles confirment l’information qui leur avait été donnée par le Docteur Z, relative à une administration de NUBAIN® au sein de l’Unité de réanimation pédiatrique du CHU
Le suivi pédiatrique complet de l’enfant effectué au CHU, n’a toutefois pas pu être récupéré ; le dossier ayant été placé sous scellés.
Aucun complément d’expertise pénale n’a pourtant, semble-t-il, été ordonné pour connaître la dose administrée et les effets de cette administration de NUBAIN® sur le nouveau-né, éludée tant par les médecins du CHU, que par les comptes-rendus de réanimation rédigés par des internes du CHU en juillet 2007, ce alors que l’administration elle-même de ce médicament est contre-indiquée aux enfants de moins de 18 mois.
En avril 2012, le juge d’instruction rend une ordonnance de soit-communiqué aux fins de règlement
Fin mai 2012, les héritiers du Docteur F acceptent la succession de leur mari et père
En août 2012, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu
Les parents assignent fin août 2012 l’assureur W du Docteur F.. avant d’assigner également en octobre 2012 la Compagnie L, précédent assureur du médecin.
La Compagnie W assigne en intervention forcée la POLYCLINIQUE et sollicite parallèlement du Juge de la Mise en Etat la désignation d’un Expert Judiciaire pour que les opérations d’expertise soient menées au contradictoire des parties alors présentes à la procédure.
2014
Par ordonnance de janvier 2014, de nouveaux experts, les Docteur M et N, sont désignés
Leurs opérations d’expertise sont menées hors la présence à la procédure des ayants droit du Docteur F.
2015
Mi-janvier 2015, les experts, Docteur M. et N., déposent leur rapport
En janvier 2015, postérieurement au dépôt du rapport d’expertise judiciaire, le cabinet B, courtier de l’assureur W du Docteur F. écrivait à Maître O, notaire en charge de la succession du docteur F., pour l’informer qu’une procédure en indemnisation était pendante devant le Tribunal de Grande Instance à l’initiative des parents de l’enfant et que les dommages et intérêts risquaient de dépasser le plafond de la garantie dû par la compagnie d’assurance W
Le notaire en informait à son tour les héritiers par lettres recommandées fin janvier 2015, auxquelles était jointe copie du courrier du Cabinet de courtage.
Fin mars 2015, le notaire répond au cabinet de courtage pour lui indiquer que les héritiers du docteur F ont appris l’existence de la procédure en indemnisation lorsqu’il leur a transmis la copie du courrier que ledit cabinet lui avait adressé en janvier
En raison du risque évoqué par le cabinet de courtage de voir les demandes indemnitaires des parents de l’enfant dépasser le plafond de garantie des assurances souscrites par le Docteur F. au titre de sa responsabilité civile professionnelle, les héritiers du Docteur F. sont intervenus volontairement à l’instance par des conclusions notifiées en juin 2015.
Par ordonnance de mi-septembre 2015, le Juge de la mise en état ordonne qu’une expertise d’aménagement soit réalisée, et condamne in solidum les assureurs W et L. au paiement d’une provision de 300.000 € à valoir sur les préjudices de l’enfant, outre une somme de 8.000 € à chacun des parents à valoir sur l’indemnisation de leur préjudice moral, et 6.000 € à valoir sur les frais exposés.
2016
Fin juillet 2016, l’Expert désigné par le juge de la mise en état dépose son rapport
Par conclusions après expertise notifiées mi-novembre 2016, les parents de l’enfant s’attachent à démontrer l’existence de manquements commis à la fois par la POLYCLINIQUE et par le Docteur F., et forment d’importantes demandes indemnitaires provisionnelles.
Les parents de l’enfant exposent avoir, suivant exploit en date de début décembre 2016, assigné en intervention forcée l’ONIAM pour voir condamner cet organisme au paiement des sommes excédant la couverture d’assurance.
2017
Par conclusions récapitulatives notifiées mi-mars 2017, l’assureur L fait valoir à titre principal que la garantie était due par la société W. A titre subsidiaire, elle démontre que le préjudice ne pouvait être constitué que par une perte de chance d’éviter les séquelles, et estime que cette perte de chance était de 60 %. Elle formule enfin des observations sur les demandes indemnitaires provisionnelles formulées par les parents de l’enfant.
Par conclusions d’incident notifiées mi juin 2017, et sur la base d’un avis du Professeur R. et de GYNERISQ, qui considèrent que « tant les données de la science publiées au moment des faits que celles publiées postérieurement, démontrent que l’attitude du Dr F. a été médicalement adaptée aux circonstances et n’a pas permis de protéger l’enfant des conséquences de la strangulation brutale et imprévisible par son cordon », la Compagnie W a sollicité la production sous astreinte par les parents de l’enfant, de l’entier dossier du Service de néonatologie du CHU comprenant notamment les comptes rendus d’examen et les feuilles de soins infirmier durant tout le séjour de l’enfant Elio.
Cette même demande a été présentée par les consorts F. qui ont également sollicité la communication du dossier d’hospitalisation de l’enfant du 7 juillet 2011.
Les parents de l’enfant se sont opposés à cette demande et ont sollicité, à titre reconventionnel, du Juge de la Mise en Etat, qu’il condamne in solidum la POLYCLINIQUE, la Compagnie W et la Compagnie L, au paiement de provisions complémentaires pour un montant total de 890.000 €.
Par ordonnance en date de début décembre 2017, le Juge de la Mise en état écarte l’ensemble de ces demandes et fixe un calendrier de procédure.
2018
Suivant exploits en date de début avril 2018, les consorts F. assigne en intervention forcée le CHU et le Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé exerçant à titre libéral (FAPDS).
Selon exploits en date de fin septembre 2018, les parents de l’enfant assignent en intervention, aux fins de déclaration de jugement commun et opposable, la CPAM, leur nouvel organisme de sécurité sociale, et une mutuelle.
Par ordonnance de début octobre 2018, les instances sont jointes à l’instance principale
2019
Début décembre 2019 le tribunal de grande instance de Brest :
- retient la responsabilité pour faute du Docteur F.
- décharge les consorts F. de leur dette successorale
- retient la garantie de l’assurance du Dr F. au titre de la responsabilité civile professionnelle du Docteur F.
- condamne in solidum la Polyclinique et l’assureur du Dr F. à prendre en charge, à titre provisionnel, les préjudices de l’enfant ;
- Considère que la première réclamation au sens de l’article L 251-2 du code des assurances doit être fixée au plus tôt le 13 décembre 2011, date de la mise en examen du Dr F. et qu’à cette date la garantie d’assurance avait été resouscrite auprès de l’assurance W.
- En conséquence, retient la garantie d’assurance de la Compagnie W à hauteur de 8 millions d’euros et celle du FAPDS au-delà de 8 millions d’
- souligne qu’il « n’est pas dans la capacité de dire si les références bibliographiques citées par les experts commis par le juge d’instruction sont plus pertinentes que celle retenues par l’association GYNERISQ. », cette dernière étant notamment en désaccord avec l’analyse et l’interprétation des anomalies du rythme cardiaque foetal (ARCF) faites dans l’expertise judiciaire et soulignant d’autre part que l’aggravation brutale de l’état de l’enfant 2 jours après une amélioration ne peut être la conséquence d’une asphyxie aiguë perpartum, alors qu’elle pourrait être imputable à l’administration de Nubain, laquelle n’est évoquée par aucun des experts judiciaires ;
- écrit « regretter que l’analyse de cette association n’ait pas plus opportunément été réalisée pendant le délai d’expertise judiciaire pour permettre aux experts de se prononcer sur les références qui leur étalent opposées».
2020
Mi-Janvier 2020, la Compagnie W et la Polyclinique font appel du jugement du TGI
Par ordonnance de fin janvier 2020, le Conseiller de la Mise en Etat prononce la jonction de ces deux instances.
Le FAPDS dénie toute intervention en faisant valoir qu’il appartiendrait à la compagnie L de prendre en charge l’indemnisation en cas de dépassement des plafonds
Les seules demandes provisionnelles des parents, dans l’attente de la consolidation de l’état de leur enfant, ainsi que les débours de la CPAM et la mutuelle, s’élèvent à près de 6,2 M€.
Les héritiers du Docteur F.
- sollicitent l’infirmation du jugement du TGI en tant qu’il retient la responsabilité de celui-ci à l’origine du handicap de l’enfant ;
- sollicitent confirmation de leur décharge de dette successorale sachant que l’actif net successoral est évalué à une somme de 1,5 M€
- soutiennent que la date de la première réclamation ne peut être fixée qu’à la date du 29 août 2012, soit la date de l’assignation au fond délivrée par les parents de l’enfant à l’assureur W, assureur du Docteur F.
- constatent que le contrat d’assurance auprès de l’assureur W étant en cours au 1er janvier 2012, le plafond de garantie d’assurance avait été porté à 8 M€ par sinistre et 15 M€ par année d’assurance au 1er janvier 2012, par application du décret n°2011-2030 du 29 décembre 2011
- Sollicitent confirmation de la prise en charge par le FADPS des sommes allouées au-delà du plafond de 8 M€