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SYNTHÈSE n°4 : L’assurance de la responsabilité civile des professionnels de santé libéraux : genèse d’un scandale

par Rémi Pellet, Professeur à l’Université de Paris et Sciences Po Paris

Ce document ne prétend pas être exhaustif. Il vise seulement à donner au lecteur les principales informations relatives au risque de faillite auquel sont exposés des médecins libéraux du fait des règles relatives à l’assurance de leur activité civile professionnelle, malgré la création en 2012 d’un fonds censé régler le problème. Cette situation scandaleuse résulte de la sédimentation de réformes législatives et réglementaires entreprises par les pouvoirs publics depuis près de vingt ans, l’origine du problème pouvant être fixée en 2002, avec l’adoption de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative au droit des malades et à la qualité du système de santé, dite « loi Kouchner », du nom du ministre de la Santé de l’époque, qui avait présenté le projet de loi originel, et de la loi 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale, dite « loi About », du nom du président de la commission des affaires sociales du Sénat, censé être l’auteur de la proposition de loi originelle. Pour la bonne compréhension de la situation actuelle, il convient de retracer l’évolution chronologique des réformes.

1° L’obligation d’assurance des praticiens ayant une activité libérale

11° La limite de la protection des patients

11-1°. Les professionnels de santé doivent réparer intégralement les dommages qui résultent des fautes qu’ils ont commises aux dépens de leurs patients (v. Synthèse n°1), sachant que les juges n’ont cessé d’allonger ces dernières années la liste des postes de préjudices indemnisables (v. Synthèse n°2).

11-2° Pour éviter que les victimes ne puissent être indemnisées parce que les médecins condamnés s’avéreraient insolvables, la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, dite Kouchner, a imposé à l’ensemble des praticiens de santé libéraux de souscrire une couverture d’assurance pour couvrir les risques afférents à leur responsabilité civile professionnelle : ce principe a été codifié à l’article L 1142-2 du code de la santé publique (CSP) et repris à l’article L 251-1 du code des assurances (C. Ass.). En application de ces textes, le manquement à l’obligation d’assurance peut justifier des sanctions disciplinaires.

11-3° Afin de dissuader plus encore les praticiens de prendre le risque de se soustraire à leur obligation, l’article L 1142-25 CSP dispose que le manquement à l’obligation d’assurance prévue à l’article L. 1142-2 CSP est aussi sanctionné pénalement en étant « puni de 45 000 Euros d’amende./. Les personnes physiques coupables de l’infraction mentionnée au présent article encourent également la peine complémentaire d’interdiction, selon les modalités prévues par l’article 131-27 du code pénal, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice de laquelle ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise. Cette interdiction est portée à la connaissance du directeur général de l’agence régionale de santé qui en informe les organismes d’assurance maladie. ».

11-4° En cas de défaut d’assurance et d’insolvabilité du praticien, les victimes peuvent obtenir que l’ONIAM prenne en charge l’indemnisation mais à condition que les plaignants aient choisi la voie de la procédure amiable (v. Synthèse n°2), comme l’a jugé la Cour de cassation dans les terme suivants : « Lorsque la procédure de règlement amiable en cas d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes ou d’infections nosocomiales n’a pu aboutir ou lorsque la victime n’a pas souhaité y recourir, celle-ci peut agir en justice contre le professionnel de santé, l’établissement, service ou organisme auquel elle impute la responsabilité de son dommage, et son assureur, sur le fondement de l’article L. 1142-1, I, du code de la santé publique ou encore contre l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), si elle estime que son dommage est indemnisable au titre de la solidarité nationale, sur le fondement des articles L. 1142-1, II, et L. 1142-20 du même code. Les articles L. 1142-15, régissant la procédure de règlement amiable et prévoyant au sein de cette procédure une substitution de l’ONIAM à l’assureur, notamment dans le cas où le professionnel de santé n’est pas assuré, et L. 1142-22, relatif aux missions d’indemnisation de l’ONIAM, n’ont ni pour objet ni pour effet d’instituer un droit d’agir en justice contre celui-ci au titre de dommages engageant la responsabilité d’un professionnel de santé, du seul fait que ce dernier n’était pas assuré » : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 29 mars 2017, 16-13.247, Publié au bulletin. Cela signifie qu’en cas de défaut d’assurance du praticien, l’ONIAM n’intervient que si la victime a recouru à la procédure de règlement amiable des litiges, son dommage ayant atteint le seuil de gravité requis par les articles L 1142-1, II et D 1142-1 CSP (voir synthèse n°2). Dans les autres cas, la victime est sans recours face à un praticien non assuré et insolvable.             

12° L’obligation d’assurance des praticiens des hôpitaux publics pour leur activité libérale au sein des établissements qui les emploient

12-1°. En application des articles L1142-2 CSP et L 251-1 C. Ass. précités, « L’assurance des professionnels de santé, des établissements, services et organismes mentionnés au premier alinéa couvre leurs salariés agissant dans la limite de la mission qui leur est impartie, même si ceux-ci disposent d’une indépendance dans l’exercice de l’art médical. ». Cela signifie que les praticiens des hôpitaux publics, lorsqu’ils ne commettent pas de faute « détachable du service » (v. synthèse n°1), sont couverts par l’assurance de l’établissement qui les emploie (ou par l’établissement directement, s’il fait partie de ceux qui sont dispensés de s’assurer, la loi ayant prévu qu’« une dérogation à l’obligation d’assurance » puisse « être accordée par arrêté du ministre chargé de la santé aux établissements publics de santé disposant des ressources financières leur permettant d’indemniser les dommages dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d’un contrat d’assurance ».)

12-2° Cependant, la protection de l’employeur ne joue pas pour les actes que réalise le praticien de santé dans le cadre de l’activité libérale qu’il est autorisé à exercer au sein de l’hôpital. En effet, en application des articles L 6154-1 CSP et s., les « praticiens temps plein » des hôpitaux publics peuvent exercer une « activité libérale » dans les établissements publics de santé dans la limite de « 20 % de la durée de service hospitalier hebdomadaire », sachant que « le nombre de consultations et d’actes effectués au titre de l’activité libérale » doit resté « inférieur au nombre de consultations et d’actes effectués au titre de l’activité publique. ». Cela signifie donc en pratique qu’un praticien public peut effectuer une journée par semaine (20 % de 35 heures = 7 heures = une journée) autant d’actes en libéral que dans les quatre autres jours de la semaine…. Pour cette activité libérale, le praticien hospitalier est tenu de souscrire une assurance destinée à le garantir pour sa responsabilité civile susceptible d’être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d’atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l’ensemble de cette activité.

13°. La contrepartie de l’obligation d’assurance : le droit des praticiens libéraux de saisir le Bureau central de tarification (BCT) pour obtenir un contrat d’assurance.

  • Même si cette assurance est obligatoire, chaque praticien peut choisir son assureur mais celui-ci peut refuser la demande, s’il juge le risque trop élevé.
  • Lorsqu’un praticien se voit opposer deux refus, il peut saisir le BCT,en application de l’article L252-1 Ass. qui dispose : « Toute personne assujettie à l’obligation d’assurance prévue à l’article L. 1142-2 du code de la santé publique qui, ayant sollicité la souscription d’un contrat auprès d’une entreprise d’assurance couvrant en France les risques de responsabilité civile mentionnée au même article, se voit opposer deux refus, peut saisir un bureau central de tarification dont les conditions de constitution et les règles de fonctionnement sont fixées par décret en Conseil d’Etat. /. Le bureau central de tarification a pour rôle exclusif de fixer le montant de la prime moyennant laquelle l’entreprise d’assurance intéressée est tenue de garantir le risque qui lui a été proposé. Il peut, dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, déterminer le montant d’une franchise qui reste à la charge de l’assuré.. /. Le bureau central de tarification saisit le représentant de l’Etat dans le département lorsqu’une personne assujettie à l’obligation d’assurance prévue à l’article L. 1142-2 du code de la santé publique présente un risque d’assurance anormalement élevé. Il en informe le professionnel concerné. Dans ce cas, il fixe le montant de la prime pour un contrat dont la durée ne peut excéder six mois./. Est nulle toute clause des traités de réassurance tendant à exclure certains risques de la garantie de réassurance en raison de la tarification adoptée par le bureau central de tarification. ».
  • Il convient de souligner que le montant de la prime fixé par le BCT correspond à des contrats auxquels s’applique un plafond de garantie, ce qui peut créer un risque de « trou » aux dépens du praticien (v. infra)

2° Une couverture d’assurance limitée aux seules activités ou actes prévus au contrat : exemple du défaut d’assurance d’un obstétricien pour des actes de chirurgie : « Attendu qu’en vertu de l’article 17 du Code de déontologie médicale, issu du décret du 28 juin 1979, applicable en la cause, le principe d’universalité du diplôme de docteur en médecine n’autorise pas le médecin, sauf circonstances exceptionnelles, à pratiquer dans des domaines qui dépassent sa compétence ; que l’arrêt retient, par motifs adoptés, d’une part, que c’était abusivement que M. X… faisait soutenir qu’il avait la compétence pour pratiquer des actes de chirurgie en raison des dispositions du règlement de qualification et, d’autre part, que ce médecin étant inscrit et classé comme compétent en gynécologie médicale et en obstétrique, l’hystérectomie pratiquée constituait, selon les experts, une intervention de chirurgie majeure échappant à sa compétence ; que c’est donc sans violer le texte précité et par une juste application de l’article 1134 du Code civil que la cour d’appel a jugé que M. X… n’étant pas qualifié pour accomplir l’acte chirurgical exécuté sur Mme Z…, il ne démontrait pas que le risque fût couvert par la garantie, souscrite pour la seule activité d’un gynécologue-accoucheur, obstétricien, de sorte que le contrat d’assurance n’avait pas lieu de s’appliquer ; qu’il suit de là que le moyen, mal fondé en sa première branche, est, de ce fait, inopérant en ses deux autres branches qui critiquent des motifs surabondants ; » : Cour de cassation, Chambre civile 1, du 4 décembre 2001, 98-13.002, Inédit

3°  La limitation du montant de la garantie, effet pervers de la loi Kouchner

31° En application de la loi « Kouchner » n° 2002-303 du 4 mars 2002, l’article L. 1142-2 CSP précité, consacrant l’obligation pour les médecins de souscrire des contrats d’assurance couvrant leur responsabilité civile professionnelle, dispose que « Les contrats d’assurance souscrits en application du premier alinéa peuvent prévoir des plafonds de garantie. Les conditions dans lesquelles le montant de la garantie peut être plafonné pour les professionnels de santé exerçant à titre libéral, notamment le montant minimal de ce plafond, sont fixées par décret en Conseil d’Etat. ». Cette disposition avait été présentée comme une protection pour les médecins car elle empêchait que les assureurs limitent leur garantie à de faibles montants.

32° Or, en réalité, avant 2002 la plupart des contrats d’assurance souscrits par les praticiens pour leur activité professionnelle ne mentionnaient pas de limite de montant[14] ou alors des montants supérieurs au minimum indiqué par le décret d’application (v. Infra)[15]. En autorisant expressément les plafonds, la loi a conduit à leur généralisation, dans un contexte où les assureurs se plaignaient d’une évolution de la jurisprudence qui tendait à augmenter le montant des indemnités servies aux victimes.

33° Concernant les obstétriciens, la « jurisprudence Perruche », née en 1996 et imposée en 2000 par la chambre plénière de la Cour de cassation contre les juridictions du fond (voir synthèse n°1), a certainement incité les assureurs à limiter leur garantie aux montants minimaux prévus par décret, le texte réglementaire de l’époque – décret n°2003-288 du 28 mars 2003 – disposant alors que « les plafonds mentionnés à l’article L. 1142-2 ne peuvent être inférieurs à 3 millions d’euros par sinistre et à 10 millions d’euros par année d’assurance [dans l’hypothèse où un même praticien était plusieurs fois condamné la même année] ».

34°. L’allocation de dommages intérêts très élevés, supérieurs le cas échéant aux plafonds réglementaires minimaux, s’explique lorsque la victime du dommage est un nouveau-né. En effet, en cas de dommages subis par un enfant lors d’un accouchement, l’indemnisation est fixée et régulièrement revalorisée par les juridictions lorsque la victime devient adulte et qu’il est alors possible de savoir si elle aura besoin ou non de l’assistance d’une tierce personne pour le reste de sa vie. Or, grâce aux progrès de la médecine, l’espérance de vie des personnes handicapées à la naissance est désormais comparable à celle des personnes sans handicap. Les dommages-intérêts alloués pour compenser le coût du handicap sont donc dautant plus élevés quils tiennent compte de lespérance de vie de la victime. Dans ces conditions, et compte tenu notamment de linflation, les dommages-intérêts définitivement arrêtés peuvent slever à des sommes considérables dépassant de plusieurs millions deuros les plafonds réglementaires. Or, ni le législateur, ni le pouvoir réglementaire navait prévu de dispositif de nature à informer les obstétriciens sur les dommages intérêts alloués par les juridictions aux victimes des dommages médicaux. Les pouvoirs publics avaient prétendu en 2002 que le risque de dépassement des plafonds d’assurance était purement « théorique ».

35°. Concernant l’intervention du BCT (v. supra), le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur l’assurance en responsabilité civile médicale soulignait en 2007 que « tous les contrats attribués par le BCT sont plafonnés à 3 millions d’euros » (page 13), de sorte que les obstétriciens qui devaient passer par cette instance étaient exposés à un risque de « trou de garantie » en cas de dépassement de ces plafonds.

 36°. En 2011, un rapport du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2012 révélait que « La Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) a ainsi recensé, entre 2005 et 2010, vingt-quatre sinistres supérieurs à un million d’euros, dont trois dépassaient 3 millions d’euros, parmi lesquels figurait le plus important de tous, s’élevant à 7,5 millions d’euros. ».

37°. Pour éviter que les patients ne soient privés de la part de leur indemnisation supérieure au plafond d’assurance des praticiens reconnus responsables des dommages,  l’article L. 1142-15 du code de la santé publique disposait alors que l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM, v. synthèse n°2) était substitué à l’assureur lorsque le plafond de garantie était dépassé. Cependant, l’ONIAM disposait alors d’une action récursoire contre les praticiens, de sorte que ceux-ci étaient menacés de ruine en cas d’« épuisement » de leur garantie d’assurance.

38° Aucun assureur ne proposait d’assurer le risque sans limite. Certes, les assureurs pouvaient proposer des contrats couvrant des montants plus importants que ceux que le pouvoir réglementaire avait fixés mais ils exigeaient alors des praticiens le paiement de primes d’assurance plus importantes, alors que ces derniers ne pouvaient pas savoir si les limites fixées par les pouvoirs publics étaient suffisantes ou non. De surcroît, les professionnels de santé ne peuvent saisir le BCT lorsquils se voient proposer des contrats pour des primes vertigineuses, disproportionnées : le BCT ne considère pas quune proposition de prime manifestement excessive est un refus dassurance. Les praticiens concernés peuvent être ainsi victimes dun détournement de procédure.

4° La limitation de la garantie dans le temps, effet pervers de la loi About

41° Avant la loi du 30 décembre 2002, les contrats d’assurance de la responsabilité civile professionnelle des médecins étaient conformes au principe du système « base fait générateur ». La garantie d’assurance couvrait toutes les activités effectuées pendant la durée du contrat, même lorsque des demandes en réparation étaient formulées après le terme du contrat, dans la limite du délai légal de la prescription des actions en responsabilité. Autrement dit, c’était la date du fait générateur du dommage qui déterminait le contrat applicable, même si la plainte était portée bien plus tard. En revanche, la garantie ne jouait par pour les dommages résultant d’activités réalisées avant la prise d’effet du contrat.

42° Ce système présentait des avantages majeurs pour les médecins : lorsque le dommage avait pour cause un défaut d’organisation du système de soins, le praticien pouvait entreprendre immédiatement des corrections et les faire valoir auprès de l’assureur comme des éléments de nature à éviter une augmentation de la prime d’assurance (un « malus »), la cause du sinistre ayant été supprimée pour l’avenir.

43° Les assureurs se plaignaient eux du fait que la garantie jouait pour une période excessivement longue : avant la loi Kouchner la prescription était trentenaire, ce qui signifiait qu’un patient pouvait porter plainte jusqu’à trente ans après la survenue du dommage dont il se plaignait ; les assureurs considéraient qu’ils n’avaient pu anticiper les évolutions de la jurisprudence sur une si longue période, sachant que les juges avaient reconnu au fil du temps de plus en plus de postes de préjudice indemnisables (v. Synthèse n°2) ; les assureurs se plaignaient donc d’avoir sous-facturé leurs prestations faute pour eux d’avoir pu évaluer les risques. La loi du 4 mars 2002 a réduit la prescription de trente à dix ans (v. infra) mais cette réforme ne suffit pas aux assureurs qui, à l’automne 2002, menacèrent de « faire grève », c’est-à-dire d’abandonner le marché de la RCP médicale.

44° C’est sous cette pression que fut préparé un texte qui fut présenté comme une « proposition de loi » rédigée par le président de la commission des affaires sociales. Mais le rapport précité de l’IGAS de 2007 relève que « selon le mot du ministre de l’époque, “les dispositions prévues par les articles 4 et 5 de la présente proposition de loi ont été négociées avec les assureurs dans leur ensemble’’ ». En réalité, c’est tout le texte qui fut préparé par les services de l’État et les assureurs et s’il fut déposé par un parlementaire comme une « proposition de loi » c’est qu’à l’époque cela permettait d’éviter que le Conseil d’Etat ne donne un avis sur le texte, tandis que les « projets de loi » ne peuvent être déposés par le Gouvernement devant le parlement qu’après avoir été visés par le Conseil. Le contournement du Conseil d’Etat était d’autant plus opportun pour les assureurs que celui-ci, comme la Cour de cassation, avait condamné le mécanisme que la proposition de loi avait pour but de consacrer…

45° La proposition de loi devenue la loi du 30 décembre 2002 a consacré le passage du système « base fait générateur » à celui de la « base réclamation » (« claims made » en anglais) où lassureur concerné est celui dont le contrat est en vigueur à la date de la réclamation de la personne qui sestime victime dun dommage et non plus à la date du fait générateur de ce dommage :  dans ce système, les contrats ne couvrent plus les risques pendant la durée complète de la responsabilité (dix ans à partir du dommage depuis la loi du 4 mars 2002) mais seulement ceux qui font l’objet d’une première réclamation par la victime pendant la période de validité du contrat Par ex. un médecin ayant conclu un contrat d’assurance en 2020, si une plainte est portée cette année-là pour un dommage survenu en 2010, c’est le contrat de l’année 2020 qui joue et non plus celui de 2010. Pour cette raison, les assureurs « couvrent le passé » et seulement s’il était « inconnu » de l’assuré : l’alinéa 6 de l’article L 251-2 C. Ass. dispose que « Le contrat ne garantit pas les sinistres dont le fait dommageable était connu de l’assuré à la date de la souscription. ». Cela signifie que les médecins doivent déclarer auprès de leurs assureurs tous les risques de plaintes qui pourraient être déposées pendant l’année d’application du contrat concernant les actes réalisées les années passées. Ce mécanisme permet à l’assureur de tarifer le risque en fonction des informations qui lui sont communiquées par le médecin. D’autre part, au moment où il tarifie, l’assureur est moins exposé à un risque d’évolution défavorable pour lui de la jurisprudence. Comme le rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale l’avait souligné, la loi avait pour objectif de permettre aux assureurs de « rétablir un équilibre financier entre les primes perçues une année et les indemnités qu’elles sont censées couvrir dans des conditions qui, auparavant, ne pouvaient pas être connues, donc évaluées et tarifiées ». Mais le mécanisme de la « base réclamation » a des effets pervers, ce qui justifie que les juridictions aient refusé de l’appliquer quand les assureurs tentèrent de l’introduire par voie contractuelle avant la loi de décembre 2002.

46° Les assureurs avaient déjà tenté d’introduire le système « base réclamation » par voie contractuelle mais la Cour de cassation l’avait alors condamné au motif qu’il aboutissait à accorder un avantage illicite aux compagnies dassurance, en pénalisant les assurés : dans sept arrêts rendus le même jour, le 19 décembre 1990 (Civ. 1re, 19 déc. 1990, n° 88-12.863, 88-14.756, 87-17.586, 87-195.88, 88-19.441), la première chambre civile de la Cour de cassation avait condamné le système « base réclamation » dans les termes suivants : « Vu les articles 1131 du Code civil et L. 124-1 du Code des assurances ; Attendu que pour écarter la garantie de la Northern Insurance Cie devenue Commercial Union Northern, la cour d’appel s’est fondée sur une clause de la  » police garantie décennale  » aux termes de laquelle n’étaient prises en considération au titre de la garantie, que les réclamations survenues pendant la période de validité du contrat et qu’aucune réclamation amiable ou judiciaire n’avait été, au cours de cette période, adressée à la société SEBA laquelle n’avait été appelée au procès que postérieurement à la résiliation de la police qu’elle avait souscrite auprès de la Northern ; Attendu, cependant, que le versement des primes pour la période qui se situe entre la prise d’effet du contrat d’assurance et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s’est produit pendant cette période ; que la stipulation de la police selon laquelle le dommage n’est garanti que si la réclamation de la victime, en tout état de cause nécessaire à la mise en oeuvre de l’assurance de responsabilité, a été formulée au cours de la période de validité du contrat, aboutit à priver l’assuré du bénéfice de l’assurance en raison d’un fait qui ne lui est pas imputable et à créer un avantage illicite comme dépourvu de cause au profit du seul assureur qui aurait alors perçu des primes sans contrepartie ; que cette stipulation doit en conséquence être réputée non écrite ; D’où il suit qu’en statuant comme elle a fait la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ; » : Cour de cassation, Chambre civile 1, du 19 décembre 1990, 88-12.863, Publié au bulletin.

47° La Cour de cassation avait ensuite maintenu fermement sa jurisprudence, comme l’illustre par exemple cet arrêt de 1997 : « Le versement de primes pour la période qui se situe entre la prise d’effet du contrat d’assurance et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s’est produit pendant cette période et toute clause qui tend à réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause, comme telle illicite et réputée non écrite. Encourt la cassation l’arrêt qui, suite à l’incendie d’une remorque dû à un vice affectant sa conception et sa fabrication, et ayant entraîné la destruction d’une partie de son chargement, accueille le moyen de l’assureur de responsabilité du fabricant de cette remorque garantissant les dommages causés par les produits livrés après livraison, qui, pour refuser sa garantie, a fait application de la clause du contrat stipulant que  » la garantie responsabilité civile après livraison sera accordée pour une durée de 2 ans après livraison du matériel « , au motif que l’incendie de la remorque s’était produit plus de 2 ans après sa livraison. En effet, le fait générateur du dommage qui engageait la responsabilité de l’assuré était la livraison de la remorque atteinte d’un vice caché et non l’incendie de la remorque et la clause litigieuse ayant pour effet de limiter la garantie de l’assureur à une durée inférieure à celle de la responsabilité de l’assuré devait être réputée non écrite. » : Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 16 décembre 1997, 94-17.061 94-20.060, Publié au bulletin

48° Pareillement, concernant des régimes dassurance obligatoires créés par le pouvoir réglementaire, par décret ou arrêté, le Conseil dÉtat avait jugé en 2000 que ce type de clause était illégal, sachant que sa décision avait été rendue à l’occasion du contentieux de l’indemnisation des victimes de contamination par le virus de l’hépatite C, certaines victimes ayant saisi la juridiction administrative d’une contestation de la légalité de l’arrêté du 27 juin 1980 autorisant la stipulation de clauses « de réclamation ». Le Conseil d’Etat avait alors jugé qu’ « Il résulte des dispositions de l’article L. 124-1 du code des assurances que le versement des primes pour la période qui se situe entre la prise d’effet du contrat et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s’est produit pendant cette période. La clause-type contenue au dernier alinéa de l’article 4 de l’annexe à l’arrêté interministériel du 27 juin 1980 relatif aux contrats d’assurance souscrits par les centres de transfusion sanguine pour satisfaire à l’obligation établie par l’article L. 667 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à l’arrêté interministériel du 29 décembre 1989, selon laquelle le dommage n’est garanti que si la réclamation de la victime a été portée à la connaissance de l’assuré dans un délai maximum de cinq ans après la date d’expiration du contrat, aboutit à priver l’assuré du bénéfice de l’assurance en raison d’un fait qui ne lui est pas imputable. Une telle clause conduit à créer un avantage illicite dépourvu de cause, et par conséquent contraire aux dispositions de l’article 1131 du code civil, au profit du seul assureur, qui aurait perçu les primes sans contrepartie. » : Conseil d’Etat, 1 / 2 SSR, du 29 décembre 2000, 212338 215243, publié au recueil Lebon (décision connue sous le nom « arrêt Beule »)

49° La Cour de cassation tira alors toutes les conséquences de la déclaration dillégalité des « clauses réclamation » prononcée par le Conseil d’État, en validant les décisions des juges du fond déclarant ces clauses non écrites : « C’est sans remettre en cause des droits acquis ou l’objectif de sécurité juridique que la cour d’appel a déclaré non écrite une clause qui tendait à réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré en se fondant sur la déclaration d’illégalité, par le juge administratif, du règlement dont la clause contractuelle litigieuse reproduisait une clause-type. » : Cour de cassation, Chambre civile 2, du 21 octobre 2004, 02-20.694, Publié au bulletin

49-1° Quant aux pouvoirs publics, à la suite de la décision du Conseil d’Etat, ils prirent plusieurs décrets et arrêtés qui abrogèrent, pour les assurances obligatoires concernées, le système de « la base réclamation » lequel est précisément celui qui a été consacré par la loi About et sur laquelle le Conseil constitutionnel neut pas à se prononcer, faute davoir été saisi par des parlementaires, parce que les assureurs avaient déclaré que si la loi n’était pas adoptée ou était censurée, ils renonceraient à assurer les praticiens et établissements de santé.

49-2° Les assureurs qui se retirèrent du marché furent paradoxalement favorisés par l’entrée en application de la loi About. En effet, l’article 5 de la loi du 30 décembre 2002 disposait que « l’article L 251-2 du code des assurances s’applique au contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication de la présente loi. Sans préjudice de l’application des clauses contractuelles stipulant une période de garantie plus longue, tout contrat d’assurance de responsabilité civile garantissant les risques mentionnés à l’article L 1142-2 du code de la santé publique, conclu antérieurement à cette date, garantit les sinistres dont la première réclamation est formulée postérieurement à cette date et moins de cinq ans après l’expiration ou la résiliation de tout ou partie des garanties, si ces sinistres sont imputables aux activités garanties à la date d’expiration ou de résiliation et s’ils résultent d’un fait générateur survenu pendant la période de validité du contrat ». La loi About a pris effet le 31 décembre 2002, jour de sa publication au journal officiel, et s’appliquait donc aux contrats conclus antérieurement et qui n’avaient pas été reconduits en 2002, de sorte que les dommages dont le fait générateur s’était produit pendant la période d’application n’étaient plus couverts que pendant les cinq ans qui suivaient le terme du contrat. Autrement dit, la loi avait pour effet de maintenir la règle antérieure du fait générateur aux contrats antérieurs au 1er janvier 2003 mais pour cinq ans seulement. Cela créait un avantage important aux assureurs car, lorsqu’ils avaient accepté de couvrir les praticiens de santé avant la loi du 30 décembre 2002, ils connaissaient la durée du risque qui s’étendait alors dans le secteur libéral, avant la loi du 4 mars 2002, pendant au moins trente ans. La loi du 30 décembre 2002 a ainsi réduit de trente à cinq ans l’engagement des assureurs qui avaient contracté avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Les assureurs qui quittèrent le marché en 2002 furent ainsi avantagés par rapport à ceux qui y demeuraient…

49-3° De surcroît, alors que les primes d’assurance auraient dû baisser dans les cinq ans qui suivaient l’entrée en vigueur de la loi About, puisque jouait la garantie subséquente de cinq ans des anciens contrats et que les nouveaux contrats ne prenaient effet que dans l’hypothèse où des plaintes étaient portées pour des dommages survenus après 2002 seulement, les compagnies d’assurance continuèrent à augmenter leurs tarifs, comme l’ont établi les rapports publics sur le sujet (et notamment celui de l’IGAS précité) : pendant cinq ans, les assureurs firent payer un tarif plus élevé que dans le passé alors qu’ils bénéficièrent du fait que leur garantie était limitée dans le temps (par ex. si une plainte était portée en 2004, le nouveau contrat ne jouait que si le dommage n’était pas antérieur à 2003). Ce n’est qu’au terme de la subséquente, soit donc à partir de 2008, que les contrats conclus sous le régime de la nouvelle loi couvrirent aussi les dommages antérieurs à 2003, lorsqu’ils n’avaient pas encore fait l’objet de plainte. Les médecins qui avaient souscrit des contrats avant 2003 pour s’assurer pendant trente ans devaient à partir de 2008 payer de nouveau pour se couvrir en cas de plaintes relatives à des dommages antérieurs à 2003. Autrement dit, comme le rapport de l’IGAS de 2007 l’a souligné, « de fait, les médecins ont payé deux fois pour la couverture des dommages dont le fait générateur était antérieur à la loi About et dont la réclamation est intervenue postérieurement à la loi ».

49-4° Le système « base réclamation » ne permet pas de tenir compte rapidement du développement de la sécurité dans les cliniques : en effet, dans la mesure où la couverture d’assurance couvre désormais le passé (inconnu), l’assureur ne tient compte des efforts de modernisation des établissements et des changements de pratique qu’au terme de la période de prescription des risques passés, soit dix ans après la consolidation des éventuels dommages, alors que dans l’ancien système « fait générateur » les efforts des établissements et praticiens de santé pour améliorer la sécurité de leurs patients pouvaient se traduire dès l’année suivante par des baisses de primes ou une moindre augmentation (v. supra).

49-5° La définition de la notion de « passé inconnu » donne lieu à des contentieux, avec le risque pour un praticien de se voir privé de toute forme de couverture d’assurance si les juges considèrent qu’il n’avait pas informé son assureur de l’existence d’éléments dont il avait connaissance et qui étaient de nature à lui faire porter la responsabilité de dommages subis par l’un de ses patients au cours des années passées. La Cour de cassation admet cependant la jurisprudence « restrictive » des juges du fond sur cette obligation de déclaration, comme le montre cet exemple : « Mais attendu que l’arrêt retient que pour considérer que le fait générateur était connu de l’assuré, il ne suffit pas qu’un incident grave soit survenu au cours des soins dispensés par lui, encore faut-il qu’il ait connaissance d’éléments permettant d’imputer cet incident grave à son intervention ; qu’aucune pièce n’est produite permettant de caractériser de la part de M. X… une telle connaissance avant la souscription du contrat avec la société MIC ; que jusqu’en première instance, M. X… a toujours nié tout lien de causalité entre l’arrêt cardiaque de son patient et son intervention médicale et que le premier élément qui résulte du dossier susceptible de mettre en jeu sa responsabilité n’est autre que l’assignation en référé-expertise du 3 juillet 2003 ; Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, procédant de son appréciation souveraine de la valeur des éléments de preuve soumis aux débats et dont il résultait que l’existence d’un fait dommageable imputable au médecin n’était ni certain dans sa réalisation, ni déterminable dans son étendue lors de la souscription du second contrat d’assurance, la cour d’appel a pu décider qu’il n’était pas démontré que la condition posée à l’alinéa 6 de l’article L. 251-2 du code des assurances, pour écarter la garantie du second contrat en cours lors de la réclamation de la victime, était réalisée ; » : Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 30 juin 2011, 10-15.048, Inédit.

49-6° La naissance d’un « trou » dans la couverture d’assurance des médecins en cas d’expiration de leurs garanties.

  • La loi du 4 mars 2002 a réduit la prescription en matière de responsabilité médicale de trente à dix ans, l’article L 1142-28 CSP disposant désormais que : « Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l’occasion d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins et les demandes d’indemnisation formées devant l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application du II de l’article 1142-1 et des articles L. 1142-24-9, L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage. […] ».
  • En application de la loi du 30 décembre 2002, le 5è alinéa de l’article L 251-2 C. Ass dispose que « Le dernier contrat conclu, avant sa cessation d’activité professionnelle ou son décès, par un professionnel de santé mentionné à la quatrième partie du code de la santé publique exerçant à titre libéral, garantit également les sinistres pour lesquels la première réclamation est formulée pendant un délai fixé par le contrat, à partir de la date de résiliation ou d’expiration de tout ou partie des garanties, dès lors que le fait dommageable est survenu pendant la période de validité du contrat ou antérieurement à cette période dans le cadre des activités de l’assuré garanties à la date de résiliation ou d’expiration des garanties, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre. Ce délai ne peut être inférieur à dix ans. Cette garantie ne couvre pas les sinistres dont la première réclamation est postérieure à une éventuelle reprise d’activité. Le contrat ne peut prévoir pour cette garantie un plafond inférieur à celui de l’année précédant la fin du contrat. »
  • En pratique cela a pour effet de faire porter à l’assureur de la dernière année d’activité le risque des années passées pendant au moins dix ans : pour cette raison, les praticiens qui approchent de la retraite ont du mal à trouver un assureur ou bien ils se voient demander des primes très élevées, alors que leur souhait est généralement de réduire leur activité, ce qui entraîne une réduction de leur rémunération.
  • D’autre part, un dommage avéré peut mettre un temps certain avant de se « consolider », de sorte qu’une plainte peut être portée alors que le dommage est survenu il y a plus de dix ans ;
  • Enfin, lorsqu’un enfant a été victime d’un dommage, la prescription ne commencent à jouer qu’à la majorité de cette personne : si un bébé est victime d’un dommage lors d’un accouchement, l’intéressé peut porter plainte 28 ans après les faits. Pour cette raison, tous les praticiens qui réalisent des actes sur un enfant ou la mère qui le porte, spécialement les gynécologues obstétriciens, sont exposés à une durée de responsabilité et donc d’insécurité juridique nettement plus longue en moyenne que celle que doivent assumer ordinairement leurs confrères exerçant d’autres disciplines médicales.
  • Ainsi, lorsqu’un praticien part à la retraite, la couverture d’assurance liée à son dernier contrat ne dure que dix ans alors que des plaintes peuvent être portées contre lui après ce délai, si la consolidation est tardive ou si la victime était mineure au moment où le dommage s’est produit.
  • Les patients bénéficiaient eux d’une intervention de l’ONIAM en cas d’expiration de la garantie, du fait la fin de la subséquente de dix ans, et d’insolvabilité du praticien, l’Office pouvant exercer ensuite une action récursoire contre le médecin, comme dans l’hypothèse d’un épuisement de la couverture d’assurance par dépassement des plafonds.

Les pouvoirs publics ont nié pendant près de dix ans la réalité des « trous de garantie » auxquels les médecins libéraux étaient exposés par l’effet des reformes législatives de 2002. En 2009, sous la pression des obstétriciens en grève – mais réquisitionnés par les préfets -, le gouvernement fit adopter par amendement l’article 44 de loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2010 qui était censé « sécuriser » la situation des praticiens en tant qu’il prévoyait une limitation de la faculté d’action récursoire de l’ONIAM lorsqu’il devait intervenir dans les hypothèses d’épuisement ou d’expiration de leurs garanties d’assurance. Cependant ce texte était rédigé de façon aberrante et laissait perdurer des risques dinsécurité juridique pour les praticiens concernés. Il fallut attendre l’adoption de la loi de finances (LF) pour 2012 pour qu’un nouveau dispositif soit créé mais celui-ci laisse perdurer encore un risque réel de ruine pour une poignée de praticiens.

5° La persistance d’un risque de ruine pour une poignée de praticiens malgré la création d’un fonds de « réassurance » financé par les professionnels de santé

51° L’article 146 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 portant loi de finances pour 2012 a créé un « fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par les professionnels de santé exerçant à titre libéral ». Puis les pouvoirs publics ont choisi d’étendre le champ d’intervention de ce fonds par l’ordonnance n° 2017-1609 du 27 novembre 2017 relative à la prise en charge des dommages en cas de retrait d’agrément d’une entreprise d’assurance. Mais une poignée de praticiens sont encore exclus du bénéfice de ce dispositif et leurs patients sont désormais exposés au risque de ne pouvoir obtenir la totalité des indemnisations qui leur seraient allouées par les juges.

52° En application des dispositions précitées de la LF pour 2012, codifiés à l’article L 426-1 du code des assurances, le fonds précité est censé « boucher » les trous de garanties, en cas d’épuisement et d’expiration des garanties. Ainsi, lorsque des dommages engagent la responsabilité civile professionnelle de ces praticiens libéraux,

  • le fonds est chargé de régler, « sans possibilité d’action récursoire contre les professionnels de santé concernés »,
  • la part des indemnisations qui excède le plafonds de garantie prévu par le contrat d’assurance,
  • ainsi que l’intégralité de ces indemnisations en cas d’expiration du délai de validité de la couverture d’assurance.

53° En application de l’ordonnance de 2017 précité, « le fonds est également chargé d’indemniser les bénéficiaires des contrats souscrits par les professionnels de santé exerçant à titre libéral conformément à l’article L. 1142-2 du code de la santé publique, en cas de retrait d’agrément des entreprises d’assurance opérant en France »

54° Pour financer l’intégralité des charges résultant de deux catégories d’indemnisation indiquées, le fonds se voit affecter le produit d’« une contribution forfaitaire annuelle » mise à la charge des « professionnels de santé exerçant à titre libéral ». Son montant doit être « fixé par arrêté des ministres chargés de la santé et de l’économie entre 15 € et 25 € par an. Ce montant peut être modulé en fonction de la profession exercée. ». En clair donc, ce n’est pas la solidarité nationale qui prend en charge les « trous de garantie » des assurances des praticiens libéraux mais ces derniers.

55° Parallèlement, le pouvoir réglementaire a publié le décret n° 2011-2030 du 29 décembre 2011 « relatif aux plafonds de garantie mentionnés à l’article L. 1142-2 du code de la santé publique ». Les dispositions de ce texte ont été codifiées à l’article R 1142-4 CSP qui dispose que « les plafonds mentionnés à l’article L. 1142-2 ne peuvent être inférieurs à 8 millions d’euros par sinistre et à 15 millions d’euros par année d’assurance. ». Cette augmentation des planchers de couverture permettaient aux assurances de justifier une augmentation des primes, puisqu’elles devaient garantir des montants plus importants, ce qui était une forme de contrepartie accordée à ces compagnies qui avaient fait constamment pression pour éviter la création d’un fonds qui joue un rôle qu’elles sont incapables de remplir, à savoir mutualiser les risques entre tous les praticiens libéraux et sans limite. 

55°  D’autre part et surtout, la loi de finances pour 2012 a prévu que lintervention du fonds est limitée aux cas des sinistres faisant l’objet d’une réclamation « soit déposée à compter du 1er janvier 2012 en cas d’expiration du délai de validité de la couverture du contrat d’assurance mentionné au même article L. 251-2 [du code des assurances], soit mettant en jeu un contrat d’assurance conclu, renouvelé ou modifié à compter du 1er janvier 2012. ». Cette disposition essentielle n’a pas été codifiée : elle ne figure pas au code des assurances.  

 56° Dans une note adressée au syndicat Le Bloc, datée du 1er février 2016[33], la Direction du Trésor interprétait ainsi les dispositions combinées de la loi de finances pour 2012 et le décret précité du 29 décembre 2011 :

– « si une réclamation a été portée contre un praticien avant le 1er janvier 2012, ou en 2012 avant la date de conclusion, de renouvellement ou de modification du contrat d’assurance, le fonds ne peut intervenir au titre du dépassement du plafond de garantie »

– et si un praticien a cessé toute activité avant 2012 et qu’une réclamation intervient avant que la subséquente n’ait expiré, le fonds ne prendra pas en charge le sinistre au titre du dépassement du plafond de garantie car « il n’intervient qu’en cas de dépassement des nouveaux plafonds et le contrat d’assurance continue à produire ses effets au titre de la garantie subséquente mais avec les plafonds initiaux. »

57° Si cette interprétation n’a pas été validée par la Cour de cassation et est vivement contestée par les praticiens, elle signifie que plusieurs obstétriciens sont aujourdhui menacés de ruine car ils ont fait lobjet de réclamations déposées avant 2012 et pour lesquelles les juges ne fixeront le montant définitif de l’indemnisation que dans plusieurs années, à la majorité des victimes des dommages. Pour les raisons que nous avons indiquées supra – espérance de vie des enfants handicapé, effets de l’inflation pendant cette période – les dommages-intérêts qui seront définitivement arrêtés pourront s’élever à des sommes considérables qui dépasseront de beaucoup les plafonds de couverture d’assurance en vigueur au moment où les réclamations ont été portées, alors que le Fonds de garantie pourrait décider de ne pas intervenir parce que chacune de ces affaires exceptionnelles ne met pas en jeu un contrat « conclu, renouvelé ou modifié à compter du 1er janvier 2012 ». Si la Cour de cassation n’a pas validé cette interprétation des textes par le Fonds de garantie, les praticiens concernés par les procédures sont bien menacés d’un risque de ruine.

58° Le risque de ruine auquel sont exposés plusieurs obstétriciens ne repose sur aucune logique, alors surtout que la création du Fonds de garantie avait précisément pour objectif d’éviter de telles situations qui peuvent s’avérer dramatiques pour les praticiens concernés et leurs familles. Selon que la plainte du patient a été portée le 1er janvier 2012 ou le 31 décembre 2011, le praticien pourra ou non bénéficier de l’intervention du fonds et donc échappera à la ruine ou non. Compte tenu de l’importance de l’enjeu, cette inégalité de traitement aurait dû être évitée : les dispositions de la loi qui l’ont créée sont clairement contraires au principe constitutionnel d’égalité qui interdit les discriminations injustifiées.

59° Certes le Conseil constitutionnel juge que « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général » mais c’est à la condition que « la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit » (v. par ex. décision 87-232 DC – 07 janvier 1988 – Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole, cons. 10, Rec. p. 17). Or, en la matière :

  • l’intérêt général ne peut justifier d’exposer des praticiens à un risque de ruine pour la seule raison que leurs patients auront choisi de porter plainte avant 2012 plutôt qu’à partir de 2012 ;
  • la différence de traitement selon la date de la plainte déposée par des patients contre des médecins est sans rapport avec l’objet de la disposition législative qui l’a établie, qui était au contraire de combler les « trous de garantie » que le législateur a créés en 2002 dans la couverture d’assurance de ces praticiens ;
  • La différence de traitement ne dépend pas de l’attitude du médecin mais d’une décision du patient, laquelle lui échappe complètement : le législateur a donc créé un aléa aux conséquences potentiellement désastreuses pour les praticiens, tout en les privant de tout moyen d’éviter la réalisation du risque. L’insécurité juridique ainsi créée n’a donc aucune vertu préventive. Elle ne peut que nourrir un sentiment d’injustice et le ressentiment à l’égard des pouvoirs publics qui ont créé une telle situation.
  • la loi a également créé une inégalité injustifiée aux dépens des patients parce que ceux qui ont porté plainte à partir de 2012 pourront bénéficier de l’intervention du fonds tandis que ceux qui l’ont fait avant 2012 pourront être confrontés à linsolvabilité des praticiens mis en cause, ledit fonds ne pouvant intervenir alors, non plus que l’ONIAM si les patients ont choisi la voie judiciaire plutôt que la voie amiable (v. synthèse n°2). En effet, si l’article L1142-15 CSP dispose qu’« en cas de silence ou de refus explicite de la part de l’assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n’est pas assuré ou la couverture d’assurance prévue à l’article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l’office institué à l’article L. 1142-22 est substitué à l’assureur. », ces dispositions ne s’appliquent qu’à la condition que les plaignants aient choisi la voie la procédure amiable, comme l’a jugé la Cour de cassation dans l’arrêt précité : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 29 mars 2017, 16-13.247, Publié au bulletin. Or, il n’y a aucune raison logique à ce que les patients soient exposés au risque d’insolvabilité des médecins, sans recours possible au fonds créé par la LF pour 2012, s’ils ont choisi de porter plainte avant 2012 plutôt qu’après, sachant qu’ils ne pourront bénéficier non plus de l’intervention de l’ONIAM s’ils ont choisi la voie contentieuse plutôt que la procédure amiable.

6° Les mauvais arguments des pouvoirs publics contre l’extension du champ d’intervention du fonds

61° En 2017, la ministre de la Santé, Mme Marisol Touraine, avait refusé lextension du champ dintervention du fonds au motif quelle menacerait son équilibre financier. Mais cette assertion na jamais été démontrée : d’ailleurs, alors que la loi de finances pour 2012 prévoyait que le gouvernement devait présenter au Parlement, « avant le 31 décembre 2016 », le bilan définitif du dispositif créé par l’article L. 426-1 du code des assurances, les pouvoirs publics n’ont jamais publié un tel rapport.

62° En tout état de cause, la prise en charge par le fonds des dépassements de plafond s’étalerait sur de longues années car les indemnités sont allouées au fur et à mesure de l’évolution de la vie de la personne qui fut accidentée au moment de laccouchement. De plus, dans les quatre décennies à venir, les pouvoirs publics seront amenés à adapter les cotisations en fonction des évolutions de l’inflation et des dépenses de sorte que l’équilibre financier du fonds est nécessairement garanti : il ny a donc aucun risque de rupture brutale de l’équilibre financier du fonds.

6De surcroît, les finances publiques gagneraient à ce que le champ dintervention du fonds soit étendu. En effet, compte tenu des sommes en jeu, le patrimoine des praticiens concernés ne pourra pas couvrir les sommes dues au titre de la prise en charge médicale de personnes lourdement handicapées. Cela signifie donc que le coût des soins restera à la charge de lassurance maladie qui prend en charge les soins des personnes lourdement handicapées.

64° Enfin, les pouvoirs publics ont fait la démonstration que le fonds pouvait supporter de nouvelles charges. Ainsi, l’ordonnance n° 2017-1609 du 27 novembre 2017 précitée a confié au fonds la mission « d’indemniser les bénéficiaires des contrats souscrits par les professionnels de santé exerçant à titre libéral conformément à l’article L. 1142-2 du code de la santé publique, en cas de retrait d’agrément des entreprises d’assurance opérant en France. » (paragraphe II de l’article L 426-1 C. ass.). Dans cette hypothèse, les praticiens libéraux paieront deux fois : une fois par les primes quils versent aux assurances ; une autre fois par leur contribution au fonds qui prendra en charge les assureurs qui auront encaissé les primes avant de se voir retirer leur agrément par les pouvoirs publics.

65° Les pouvoirs publics considèrent que lextension du champ dintervention du fonds constituerait un « aléa moral » au motif que les médecins aujourdhui menacés de ruine  auraient pu souscrire avant 2012 des assurances avec des couvertures supérieures aux planchers fixés par les pouvoirs publics (3 et 10 M). Cet argument doit être rejeté pour deux raisons :

  • d’une part, dans ces affaires, si les victimes avaient porté plainte après le 31 décembre 2011, les médecins auraient pu bénéficier de la couverture du fonds, dans les conditions indiquées ci-dessus : il est donc complètement absurde que les médecins soient protégés ou au contraire ruinés selon que les victimes ont choisi de porter plainte tel ou tel jour (plainte le 1er janvier 2012 : le médecin est couvert par le fond ; plainte la veille : le médecin est ruiné), le choix de la date de la plainte étant sans rapport aucun avec le comportement du praticien, la gravité de sa faute ou la gravité du dommage subi par la victime (voir supra)
  • d’autre part, même si les médecins concernés avaient souscrit des couvertures dassurance supérieures à 3 M, ces garanties nauraient pas été illimitées (car aucun assureur na jamais proposé ni accepté une couverture sans limite) et elles nauraient donc pas protégé les praticiens du risque de ruine (les sommes en jeux pouvant dépasser les 15 M€, une couverture de 8 M€ leur laisserait à charge 7 M€, ce qui dépasse évidemment et très largement la valeur du patrimoine des médecins concernés)

Pour l’ensemble de ces raisons, le fonds créé par la LF pour 2012 doit couvrir tous les praticiens concernés par les « trous de garantie » créés par les lois de 2002. La loi précitée du 4 mars 2002 dispose que plusieurs de ses dispositions prennent effet à compter du 5 septembre 2001. C’est pourquoi, pour couvrir toutes les hypothèses, la couverture du fonds précité devrait être étendue aux affaires nées avant 2012 en remontant jusqu’au 5 septembre 2001.

 

COMPLEMENT  A PROPOS DES INFORMATIONS DONNEES PAR UN RAPPORT DU SENAT DU 16 JUIN 2021

Alertée par les responsables du site internet dédié à l’information sur les « exclus du FAPDS »3, la Commission des affaires sociales du Sénat s’est opportunément saisie du dossier et a confié à l’une de ses membres, Mme Catherine Catherine Procaccia, la rédaction d’un rapport ad hoc, lequel a été publié le 16 juin 2021. Ce rapport est très décevant en cela qu’il reprend les arguments des assureurs privés et de l’Exécutif pour écarter toute piste de réforme susceptible de sauver du désespoir les derniers praticiens de santé victimes de l’impéritie des pouvoirs publics, alors que l’auteur du rapport reconnaît qu’elle n’a eu aucun moyen de vérifier le bien-fondé des données dont elle fait état.

En revanche, ce travail représente un apport important au débat public parce qu’il souligne :

  • que la réforme du système d’assurance de la responsabilité civile des établissements et praticiens de santé, opérée en 2002, était destinée « à rétablir un équilibre financier permettant aux assureurs de rester sur le marché » de la responsabilité civile médicale, sous la pression des assureurs qui menaçaient d’abandonner ce marché ;
  • que les pouvoirs publics ont ensuite délibérément organisé l’opacité sur les données relatives à cette activité d’assurance privée ;
  • qu’ils ont fini par reconnaître que les praticiens étaient exposés à des « trous de garantie », à cause des réformes de 2002 ;
  • qu’un petit nombre de praticiens restent exposés à un risque de ruine du fait de la limitation du champ d’intervention du FAPDS.

Le rapport fournit des informations financières minimales et invérifiables sur le système de RCP. Le rapport reproduit les données communiquées à Mme la sénatrice Procaccia par la Fédération française de l’assurance (FFA, devenue depuis « France assureurs » ) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Selon ces sources, pour l’année 2019, le nombre de sinistres se serait élevé à 23 500, dont 314 sinistres « graves », c’est-à-dire « de plus de 200 000 € », ce qui représenterait une « charge anticipée » de 512 M €. Il est indiqué que ces données ont pour « champ » les « établissements et professionnels de santé ». Le rapport ajoute que « d’après les données de la FFA (fédération française de l’assurance), le marché de l’assurance RC médicale représente en 2019 un encaissement annuel de 519 millions d’euros, dont environ 250 millions d’euros au titre des professionnels libéraux et 269 millions d’euros au titre des établissements de santé ». De quels établissements s’agit-il ? La question est d’importance car les établissements publics doivent s’assurer comme les établissements privés mais le pouvoir réglementaire peut autoriser les centres hospitaliers publics comme l’AP-HP à s’auto-assurer. Il serait particulièrement intéressant de comparer la sinistralité des établissements publics et privés, en distinguant selon les spécialités et selon les établissements qui s’auto-assurent et ceux qui s’assurent auprès d’une assurance privée. Or aucune donnée n’est produite à ce sujet.

Le rapport souligne bien que l’Exécutif a manqué à ses obligations en matière d’informations financières mais cette politique, pourtant délibérée, n’est pas expliquée. Voici les termes du rapport : « si la loi de finances pour 2012 prévoyait la remise au Parlement avant le 31 décembre 2014 d’un rapport d’étape analysant, en particulier, l’adéquation du montant de la contribution affectée au Fonds pour couvrir les indemnisations dont il est susceptible d’avoir la charge et, avant le 31 décembre 2016, d’un “bilan définitif du dispositif proposé pour en évaluer l’intérêt en le comparant à d’autres mécanismes possibles de prise en charge’’, ces rapports d’évaluation n’ont jamais été transmis au Parlement ». Et le rapport de préciser : « l’observatoire des risques médicaux [ORM] mentionné à l’article L. 1142-29 du code de la santé publique et adossé à l’ONIAM [Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux] n’observe plus depuis 2015, ce qui ne permet pas de disposer d’éléments d’analyse sur l’évolution des accidents médicaux. Or, le dernier rapport sénatorial publié comportait des données intéressantes sur la part des sinistres lourds – que l’accident soit ou non fautif, c’est-à-dire pris en charge par l’assureur ou l’ONIAM – et les montants d’indemnisation fixés. Seules les données des assureurs, collectées par l’ACPR, sont réunies dans un rapport annuel aux ministres concernés, non public » (Rapport d’information… op. cit., p. 18

Or, le rapport du Sénat écarte la possibilité d’étendre le champ d’intervention du FAPDS à la poignée de praticiens qui en sont aujourd’hui exclus, pour deux motifs : d’abord, « le FAPDS demeure un dispositif jeune au regard des délais extrêmement longs inhérents aux dom- mages résultant d’accidents médicaux. Il apparaît par conséquent prématuré d’envisager des évolutions sur la base de ce premier bilan, à ce stade très incom- plet en termes de connaissance du risque sous-jacent géré par le FAPDS ». Ensuite, « un tel élargissement aurait dans ces conditions un impact non maîtrisé sur l’équilibre financier du FAPDS. Or, ce Fonds est financé par des cotisations des professionnels de santé et relève d’une logique de large mutualisation : un relèvement du montant de la cotisation pour- rait fragiliser la solidarité des professionnels paramédicaux – les plus nombreux à cotiser – envers les professionnels des spécialités médicales les plus exposées aux risques de sinistres lourds » (p. 17).

Le rapport du Sénat ne s’étonne pas de la contradiction des pouvoirs publics qui refusent l’extension du champ d’intervention du FAPDS alors qu’ils ont mis à sa charge le risque de faillite des assurances RCP (v. supra)… Les arguments de l’Exécutif, tels que le rapport du Sénat les reprend sans distance critique, sont irrecevables car dans les décennies à venir les pouvoirs publics seront amenés à adapter les cotisations en fonction des évolutions de l’inflation et des dépenses, de sorte que l’équilibre financier du Fonds est nécessairement garanti : il n’y a donc aucun risque de rupture brutale de l’équilibre financier du Fonds. De surcroît, les finances publiques gagneraient à ce que le champ d’intervention du Fonds soit étendu. En effet, compte tenu des sommes en jeu, le patrimoine des praticiens concernés ne pourra pas couvrir les sommes dues au titre de la prise en charge médicale de personnes lourdement handicapées. Cela signifie donc que le coût des soins restera à la charge de l’assurance maladie qui couvre les personnes lourdement handicapées.  Surtout, alors qu’il prend argument de la fragilité financière du FADPS, le rapport sénatorial ne s’étonne pas de la modicité et de l’injustice des cotisations affectées à ce Fonds : chaque année, les paramédicaux paient des forfaits de 15 € pour abonder au FAPDS, ce qui représente 15 % de la prime d’un pédicure qui a une assurance de l’ordre de 100 € par an, alors qu’un obstétricien règle un forfait de 25 € pour des primes qui vont de 25000 à 40000 €, de sorte que la cotisation au FADPS ne représente qu’un effort d’un pour mille du plafond de prise en charge de ces assurances.

Comme cela a été indiqué, le montant collecté par le FAPDS est annuellement de 7,9 M € selon le rapport du Sénat, sur un montant total de 519 M € de primes collectées selon la FFA, soit donc une recette égale à 1,5 % des primes. Il serait plus logique de prévoir un prélèvement de 1,5 % sur tous les contrats RCP santé, car il est injuste que les paramédicaux peu exposés aux risques de dépassement ou d’expiration paient proportionnellement plus que les pro- fessions à risques. En cas de menace sur les ressources du Fonds, le passage de 1,5 % à 2 % aurait un impact très faible sur les primes d’assurance des professions médicales et aucun sur les paramédicaux peu concernés par ce risque, lesquels bénéficieraient même d’une réduction de leur contribution par rapport à leur forfait actuel. Il serait logique de rattacher cette contribution à un pourcentage sur la prime d’assurance puisque le Fonds couvre les éventuels défauts d’assureurs. Il est donc évident que la fragilité financière du Fonds est artificielle et qu’elle pourrait être corrigée en organisant une plus grande justice dans la répartition de l’effort entre professions de santé libérales. Enfin, le rapport sénatorial ne relève pas les effets délétères de l’organisation délibérée de la fragilité financière du FAPDS. Les médecins constatent que les pouvoirs publics prétendent qu’il serait impossible d’étendre le champ d’application du Fonds au bénéfice d’une poignée d’obstétriciens qui sont menacés de ruine parce que les plaintes contre eux ont été portées avant le 1er janvier 2012. La communauté médicale en vient logiquement à penser que le FAPDS, du fait de sa fragilité financière, parfaitement artificielle, pourrait ne pas être en mesure de couvrir les indemnisations pour les plaintes portées à partir de 2012. Les pouvoirs publics créent ainsi un sentiment d’inquiétude qui se traduit par une forme de défiance accrue contre le législateur puisque celui-ci donne le sentiment de ne pas vouloir corriger les « trous de garantie » qu’il a créés en 2002 par une « mal-façon » législative.

Les pouvoirs publics font face à des difficultés d’organisation des soins du fait de la désaffection des jeunes médecins pour l’obstétrique et la chirurgie au profit de la dermatologie et de l’ophtalmologie, notamment. La pénibilité et l’insécurité des spécialités « à plateau technique » lourd en sont les causes évidentes. Les pouvoirs publics s’obstinent à négliger l’insécurité assurantielle des praticiens, alors que les jeunes générations la connaissent et ne veulent pas la subir car elle est aberrante. Les pouvoirs publics ont fait prévaloir la sécurité des assureurs au détriment de celle des médecins, ce que l’autrice du rapport sénatorial ne mentionne pas, faute sans doute d’avoir interrogé les soignants.

 

Témoignages

1er TEMOIGNAGE Dr D
Affaire « Docteur D. »

Le choix de l’utilisation des forceps plutôt que celui d’une césarienne est-il à l’origine du handicap de l’enfant qu’il a mis au monde ? Témoignage du Docteur D, jugé responsable de ce handicap et qui se trouve lui aussi en défaut de couverture assurancielle, alors qu’il avait payé régulièrement la prime d’assurance.

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2eme TEMOIGNAGE Dr J
Affaire « Docteur J. »

A 71 ans le Docteur J. est toujours en activité. Il a été jugé responsable du handicap et ses assureurs refusent la couverture de l’indemnisation au-delà d’un plafond.

Voir le témoignage
3eme TEMOIGNAGE Dr F
Affaire « Docteur F. »

Témoignage de la fille du Docteur F : plusieurs années après le décès de son père obstétricien, Madame F se voit réclamer 8 millions d’euros pour l’indemnisation d’un enfant né handicapé dont l’accouchement avait été pris en charge par son père.

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Interviews

FAVRIN INTERVIEW
Interview Dr. Favrin

Serge Favrin présente les activités de GYNERISQ (organisme de gestion du risque en gynécologie-obstétrique) dont il a été le président : expertise collégiale sur les problèmes obstétricaux, amélioration des pratiques professionnelles.

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MARTY INTERVIEW
Interview Dr. Marty

Jean Marty, ancien président du syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (SYNGOF) a lancé l’alerte à partir de 2002, dans les suites de l’affaire Perruche, sur les « trous de garanties » dans les contrats d’assurance responsabilité civile des praticiens.

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ROCHAMBEAU INTERVIEW
Interiew Dr. Rochambeau

Actuel président du SYNGOF, Bertrand de Rochambeau fait le point sur les « trous de garantie » qui perdurent en 2021 malgré la création d’un fonds de garantie des accidents médicaux (FAPDS) censé régler le problème.

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Documents de synthèse

Éléments juridiques